De tout temps, l’écriture – qu’importe sa forme- a toujours fait partie de la société. Notamment de nos jours où l’écriture est plus prégnante que jamais avec toutes sortes de journaling.Dans une société où il est mal vu d’exprimer son intérieur, où parler importe peu et où tout passe par un autre canal que la communication, nous trouvons tout de même un large panel d’avantages qu’ils soient psychiques ou physiques à s’exprimer.

Afin d’élaborer l’explication de cette interrogation nous allons illustrer nos propos par la correspondance d’un grand écrivain qui nous a offert le Petit prince et sa planète. Il écrit d’ailleurs en 1944 « Écrivez, écrivez… de temps en temps ça arrive et ça fait le printemps dans mon cœur ».

En effet, Antoine de Saint Exupéry va entretenir une correspondance durant 14 années avec Consuelo de Saint Exupéry. En somme, Antoine de Saint Exupéry grand écrivain rencontre Consuelo Suncin à la fin de l’été 1930. De là, naît une folle histoire d’amour. Bien que tout un chacun y va de sa critique, les deux âmes s’aimeront follement et nous offrent l’une des plus belles correspondances amoureuses que nous pouvons lire.

Et si Stephen King écrit que les choses les plus importantes sont les plus indicibles, Antoine de Saint Exupéry nous laisse penser le contraire en peignant des mots d’amour, en nous laissant voir l’image de son cœur et de son âme. Consuelo quant à elle nous donne un spectre d’émotions lorsque nous lisons ses mots qui arrivent à guérir nos maux d’amour. Et pour cela, une gratitude immense.

Pourquoi écrivons-nous ?

Tout d’abord, le processus même de l’écriture est un trésor sans fond. Nous pouvons découper l’écriture en plusieurs étapes : l’intention d’écrire, la recherche de mots et enfin l’écriture même.

La recherche de mots nous apprend à maîtriser nos émotions enfouies et non exprimées. Cette fouille introspective de mots à l’intérieur de nous-mêmes nous permet de revivre l’expérience et ainsi d’expérimenter les émotions refoulées. Cette recherche est sans doute l’une des étapes les plus importantes car elle permet un grand avantage : celui de démêler les nœuds. Cet entrecroisement qui nous créé tant de maux, que nous ne savons que trop peu élucider.

Nous en possédons tous, bien que nous l’oubliions souvent, et ils sont à l’origine de notre souffrance intérieure. Cette souffrance que nous ne pouvons exprimer aux autres, de peur de montrer sa vulnérabilité. Ces nœuds ont besoin d’être démêlés. Alors nous cherchons des solutions : l’évitement, l’isolement, ou encore le déchirement.

En cherchant les mots, nous permettons à notre intellect de prendre du recul, ce que j’aime nommer le “dézoom” – prendre une situation lambda et reculer notre vision jusqu’à avoir le paysage complet. En prenant ce dit recul, notre intellect intègre toutes les informations : ce qu’il s’est passé, le contexte dans lequel l’événement s’est passé, l’individualité de chaque être, notre histoire personnelle et donc ce qui peut être en puissance ou non.

Ainsi, lorsque nous réfléchissons à quoi écrire, nous faisons un acte en réalité beaucoup plus profond : nous permettons à notre intellect de défaire les nœuds intérieurs de ce que nous souhaitons écrire.

Boris Cyrulnik, psychiatre réputé, publiera notamment un ouvrage sur l’écriture et son impact psychologique qu’il nommera La nuit j’écrirais des soleils. Affirmant ainsi que la pénombre de notre intérieur peut être réduite ou supprimée par l’écriture qui sera lumière pour nous. Il expliquera notamment que « La création d’un monde de mots permet d’échapper à l’horreur du réel » (p.10). Il nous est tant difficile de faire face à nos tourments internes qu’il nous faut des refuges, l’écriture permettant cela.

La difficulté à parler – et la facilité à écrire – se manifeste par la même occasion dans les lettres de suicide. Bien que la difficulté à les lire soit très grande, elles n’en restent pas moins la preuve qu’il est plus facile pour nous d’écrire que de converser.

Virginia Woolf écrira ainsi en 1941, le 28 mars précisément, « Mon chéri, j’ai la certitude que je vais devenir folle à nouveau ». Elle continue sa lettre affligeante par « Je sens que nous ne pourrons pas supporter une nouvelle fois l’une de ces horribles périodes. Et je sens que je ne m’en remettrai pas cette fois-ci. Je commence à entendre des voix et je ne peux pas me concentrer.

Alors, je fais ce qui semble être la meilleure chose à faire. Tu m’as donné le plus grand bonheur possible. Tu as été pour moi ce que personne d’autre n’aurait pu être. Je ne peux plus lutter davantage, je sais que je gâche ta vie, que sans moi tu pourrais travailler. Et tu travailleras, je le sais. Tu vois que je ne peux même pas écrire cette lettre correctement. Je ne peux pas lire. Ce que je veux dire, c’est que je te dois tout le bonheur de ma vie. Tu as été entièrement patient avec moi, et incroyablement bon. Je tiens à dire cela – tout le monde le sait. Si quelqu’un avait pu me sauver, cela aurait été toi. Je ne sais plus rien si ce n’est la certitude de ta bonté. Je ne peux pas continuer à gâcher ta vie plus longtemps. Je ne pense pas que deux personnes auraient pu être plus heureuses que nous l’avons été. »

On constate deux parties dans sa lettre : la première relève d’un constat du moment présent en commençant par son état intérieur : la perte d’une sensation d’être « normale » (si l’on peut dire ça tant cette norme n’existe pas). La seconde partie évoque l’impossibilité d’un avenir dû à ce dit constat précédent. Ce faisant, elle invoque toutes les informations nécessaires à comprendre son état intérieur.

La première raison d’écrire est ainsi de démêler nos noeuds intérieurs, de les exprimer et de les laisser sur ce papier.

Accroître la résilience :

L’un des avantages les plus importants de l’écriture est de créer ou d’accroître notre résilience. Ce dernier étant notre capacité à surmonter les épreuves de la vie. La résilience se développe tout au long de notre vie notamment lorsque des obstacles, quel qu’ils soient, arrivent. Lorsque nous écrivons, cela nous aide à surmonter certaines étapes de notre vie.

L’écriture est d’autant plus efficace comme acte de résilience lorsque l’épreuve est l’absence ou le manque d’un individu qui nous est chère. Nous avons, lors de ces moments,  de relater. Relater la présence puis l’absence, ce qui nous arrive intérieurement ou ce que nous souhaitons qu’il arrive. Cela nous aide à nous « vider » en quelque sorte de tous ces mots perdus qui ont fortement besoin d’être exprimés.

Consuelo écrira ainsi à Antoine le 24 Avril 1943 : « Mon mari, mon Tonnio, mon, chéri, Vous me manquez, sans vous je suis toute petite, toute seule dans les cinq étages de notre maison déserte. (…) Écrivez-moi. Rendez-moi la lumière du demain, avec une lettre. Mon corps me pèse chaque jour d’avantage, de ton silence, de ton absence. C’est un vrai poids que je porte. Et que je désire porter convenablement, gracieusement. Aidez-moi, parlez-moi du jour où je serai bien abritée dans vos bras, sans peur, sans peur même de ton amour. Je vous embrasse. J’espère que ma lettre t’arrivera, parce que je prie Dieu de te la faire lire. Ta femme, Consuelo. »

Par cette lettre, Consuelo se vide, de manière minime, du manque de son mari. Elle invoque aussi des images plaisantes qu’elle tend à acquérir – être abrité sous les bras d’Antoine. De part cette invocation, son imagination lui permet d’être rassurée en voyant la lumière au bout du tunnel autrement dit la rencontre avec son mari. Cette méthode se retrouve très souvent dans les correspondances en fin de lettre comme un objectif vers lequel tendre comme la fin de la lettre de Camus à Casarès (18 Juillet 1944)

“Au revoir, mon cher amour. J’attends ta réponse. De toute façon, je sais, moi, que je te reverrai bientôt. À cette seule idée, je sens mes mains trembler.” 

Comme tout vide, qu’il soit synonyme d’anxiété, de peur ou encore de dépression, nous apprenons en tout temps à remplir le vide que nous possédons. Le vide apprend notamment à se remplir par la créativité, c’est pourquoi il nous faut s’adapter car chaque vide s’abreuve différemment. C’est ainsi que nous remplissons le vide – le manque de l’autre par l’écriture, afin de ne pas laisser totalement disparaître ceux que l’on aime, nous explique Boris Cyrulnik. Cela nous permet, par la même occasion de ne pas effacer les sentiments réels que nous avons éprouvés.

Bien que cela puisse paraître absurde et très simpliste, l’écriture nous aide réellement à travailler notre résilience. Cela pourrait expliquer pourquoi tant de personnes meurtris par la vie écrivent de si beaux ouvrages – traumatisme, agressions, rupture, tels que Tolstoï, Victor Hugo ou encore Jean Genet C’est aussi pour cela que lorsqu’un patient a un attrait pour l’écriture, j’aime lui proposer des exercices adaptés à cela : il se voit ainsi écrire ses pensées lorsque celles-ci sont difficiles, à mettre sur papiers ce qu’elle vit en ce moment ou encore écrire à des personnes qui nous ont blessés. Plus la personne écrit, plus elle se souvient et plus elle intègre les événements de vie enfouis. Il y a, en jeu, un gros travail de maitrise émotionnelle.

Cela permet une réelle mise en distance face à ce que nous avons vécu, l’exemple parfait étant les autobiographies : les auteurs sont leurs propres objets d’études et mettant cela sur le papier, il est plus simple pour eux de relater et de comprendre. Althusser l’écrit dans L’avenir dure longtemps « Je vais chercher dans mon passé les fragments de mon moi fracassé et, comme je n’aurai pas d’interlocuteur visible, le cheminement de ma pensée sera authentique ».

Exprimer notre intérieur :

Aussi, écrire permet d’exprimer son intérieur et cet avantage est sans doute l’un des plus connu. Il nous est bien plus facile d’écrire notre amour que d’en parler car l’amour se veut intimiste, il se veut ouvert lorsque la personne se retrouve seul. Il est donc plus facile d’écrire lorsque nous sommes seuls, et d’exprimer notre amour quand nous nous retrouvons devant une plage blanche loin de notre bien-aimée – ou devant notre téléphone, pour être plus réaliste.

Antoine de St Exupéry nous donnera l’une des plus belles lettres d’amour qu’il m’a été donné de lire. En 1943, il écrit à sa Consuelo :

« Consuelo mon jardin et ma prairie, je suis triste au-delà du possible. Il m’est venu tellement, tellement d’amour au cœur. Consuelo Consuelo je ne savais pas imaginer une maison sans toi, une vieillesse sans toi, une soirée d’hiver sans toi. Consuelo je vous remercie du fond de ma poitrine, de mon cœur, de ma moelle d’avoir si fort tenu à moi, de vous être cramponnée à moi, comme un petit crabe têtu. Consuelo vous m’avez sauvé la vie en refusant de vous séparer.

Consuelo de vos larmes. Consuelo de vos nuits solitaires. Consuelo de vos attentes. Consuelo je n’aime que vous au monde et je vous remercie d’avoir su que je vous aimais.

Consuelo j’ai besoin de vous à cheveux blancs, près de moi, pour mourir. Consuelo de mon éternité. Consuelo que Dieu m’a donnée puisque nous sommes mari et femme. Consuelo d’un même corps. Consuelo dont je ne sais plus me passer dans le sommeil. Vous me manquez de toutes les façons du monde. Je préfère mourir bien vite, bien vite, plutôt que de ne pas savoir où vous vous trouver. J’ai besoin d’être un avec toi pour me reposer. J’ai besoin de paix. J’ai besoin de toi.

Antoine »

Et si la plume d’Antoine de St Exupéry est exceptionnelle et nous permet d’illustrer, de comprendre et d’envier son amour, il n’est pas le seul à l’écrire. Nous le faisons depuis des années, de Majnun à Leila, en passant par Camus à Casarès ou encore Edith Piaf à Marcel Cerdan, peu importe les cultures ou la religion, nous écrivons et vivons de ce fait l’amour.

Cet acte d’amour permet de formaliser ce que nous ressentons et nous aide à le vivre. Cette énergie d’amour, si intense et fleurissant avec le temps, n’est pas toujours facile à contrôler. Il nous faut donc apprendre à le vivre et l’écriture nous permet ceci. En écrivant ce que nous ressentons, cela nous aide à le contrôler et à le comprendre. Nous avons besoin d’exprimer notre amour pour le vivre et l’écriture, après le contact physique, est sans doute l’une des meilleures manières d’atteindre cet objectif

Enfin, révéler son amour à l’être aimé est pour l’humain assez difficile car il se confronte à l’autre et exprime ainsi une certaine vulnérabilité importante. En écrivant notre amour, le psychisme humain n’est pas face à cette vulnérabilité. Notre cerveau fonctionnant de manière assez robotique, n’étant pas confronté à l’autre il n’est ainsi pas confronté aux conséquences négatives de cela : le jugement, le dévoilement de la vulnérabilité, la peur du rejet.

Les correspondances sont ainsi l’exemple parfait de l’efficacité de l’écriture et de pourquoi elle est tant importante pour nous. Cela nourrit notre besoin de beauté tout en ayant été une vraie source d’apaisement pour les auteurs. Le silence se doit d’être brisé notamment dans un lien aussi intime qu’une relation amoureuse.